Français.e.s à l’étranger au temps du coronavirus – Elena, São Paulo

J’ai demandé à des français et des françaises résidant à l’étranger de nous parler de leur expatriation et de leur situation actuelle, dans un contexte épidémique. Les interviews ont été synthétisés en des témoignages et anonymisés. Merci à elles, merci à eux de raconter leur histoire.

Elena a 24 ans, elle vit à São Paulo depuis presque deux ans. Elle nous raconte son histoire et sa situation de française à l’étranger au temps du COVID-19.
Mon histoire…

« Je suis actuellement en VIE donc en Volontariat International en Entreprise qui est un statut assez particulier et unique à la France”. Après un premier emploi, « ça fait quelques mois que j’ai intégré l’équipe digital-marketing » au sein de la même entreprise française basée au Brésil. « Mon contrat se termine le premier août » et aura duré deux ans, pour moi c’est un peu « une passerelle pour commencer une carrière au Brésil” parce que « à partir d’un peu plus d’un an de VIE pour moi c’était clair que si possible j’aimerais pouvoir continuer mon expérience au Brésil et rester après mon VIE”.

« Je suis née en banlieue parisienne” où « j’ai commencé ma vie bien entourée, bien accompagnée”. A mon entrée au lycée « j’ai déménagé toujours en banlieue parisienne, pas très loin” puis « j’ai fait des rencontres assez importantes amicalement de gens qui m’ont un peu aidée à me projeter dans le futur” ce qui m’a amenée à passer le concours de Sciences Politiques. « J’ai eu le concours à Lille”, « j’aimais beaucoup Paris” mais « je regrette pas une seconde”. J’ai adoré « cette ville plus petite, à taille humaine donc de pouvoir tout faire à pied, aussi la place de Lille à l’échelle européenne qui est un hub génial pour voyager, pour partir le weekend ou sur des petites vacances”.

J’ai commencé « très tôt à faire des stages pendant les grandes vacances pour pouvoir un petit peu me décider et voilà tester différentes choses”. Aussi, « j’ai pas mal voyagé, j’ai eu mes premiers contacts avec le Portugal, qui a été […] un coup de coeur, une révélation. Je me suis fait de très très bons amis là-bas, que j’essayais d’aller voir tous les étés, sans parler un mot de portugais mais c’était déjà quelque chose que je trouvais vraiment magnifique”. Je pense que ça été « un déclencheur pour moi pour le reste”. 

En « troisième année à Sciences Po on est obligés de faire une année à l’étranger”. J’avais beaucoup pensé à l’Australie mais « plus je me rapprochais de la date butoir où on devait faire nos vœux de destination” plus cela me travaillait. A l’époque j’avais rencontré une “fille de Sciences Po” qui “était partie au Brésil” et quand « elle en parlait, elle avait les larmes aux yeux” avec « un amour, une passion qui était assez contagieuse”’.

Je me suis dit « pourquoi pas le Brésil, ce serait une opportunité, j’apprendrais une nouvelle langue”, « en plus j’ai toujours voulu apprendre le portugais”. J’avais la possibilité d’intégrer « une très très bonne école à Rio” sans avoir besoin de parler portugais. Ma mère était très inquiète, « j’aurais dû plus la rassurer à l’époque”. Mais « je pense qu’il y avait une partie de moi qui était aussi inquiète à l’époque” sans que je me l’avoue.

Je suis partie en juin 2015 et « j’ai débarqué là-bas sans parler un mot, j’ai dû trouver un appart, j’ai commencé mes cours, je me suis fait des supers amis, ça a été une année incroyable”. « J’allais à la plage tous les jours”, Rio « c’est une ville merveilleuse, les habitants, la culture, la langue, la nature, tout y est”. C’est également « une année où j’ai beaucoup voyagé, aussi voyagé seule donc ça a été super enrichissant”. « Je suis rentrée en France un an après”, « c’était une époque où j’étais un peu hors de moi, j’ai pas réalisé mais je pense que le choc était un peu violent”.

« Pendant ma quatrième année, je suis partie à la Toussaint au Portugal, toute seule” où j’ai retrouvé des portugaises que j’avais rencontré au Brésil. « Pendant un peu moins de deux semaines j’ai découvert Lisbonne et j’ai adoré”. Je prévoyais d’y revenir travailler l’été prochain. Je me disais : « vu que je pourrais pas aller Brésil autant que j’aille au Portugal au moins je pourrais continuer à pratiquer mon portugais”. « J’ai vécu un peu plus de deux mois au portugal” et « j’ai adoré pouvoir continuer à parler portugais”.

Lors de ma dernière année d’études, pour mon stage obligatoire, j’ai postulé dans une entreprise que je visais « parce qu’à l’époque je […] savais que c’était l’entreprise qui […] avait le plus d’offres de VIE”. « J’ai été prise” à Paris. Quitter Lille et la vie étudiante, « ça a été une période difficile” où j’étais très stressée. Mais dès le « premier jour en entreprise, où je rencontre mes collègues, ça s’arrête”. Pendant mon stage, je me consacrais surtout « à préparer l’après” : « est-ce que je vais réussir à avoir ce VIE au Brésil” ?

Je l’ai obtenu et « j’avais un peu plus de trois semaines pour préparer mon départ”. « Je savais pas vraiment non plus si j’allais rester au bout de deux ans” mais « j’étais trop heureuse de retourner au Brésil”. J’étais quand même « un petit peu anxieuse” de changer de ville, c’était clair que je n’aurais pas la même vie qu’à Rio.

Mon expatriation…
A mon arrivée « j’étais prise dans le travail au jour le jour parce que je travaillais énormément”. Les gens avec qui je travaille « c’est que des Brésiliens, j’étais la seule étrangère de mon service”. « J’ai deux-trois bons amis français ici, et le reste, voilà, j’ai commencé à lier des amitiés avec des brésiliens” et puis « j’ai rencontré mon copain […] il y a un peu plus d’un an”.

« Ca va être très cliché mais en même temps c’est la vérité, oui les brésiliens sont beaucoup beaucoup plus chaleureux, sont beaucoup plus solaires, sont plus souriants, ont plus le contact facile, se parlent facilement”, ce qui me semble être commun aux pays latins. « On s’y habitue très vite, trop vite ! Quand on rentre en France” on se sent pas très bien, « on arrive plus à se rendre compte si c’est de l’indifférence […] » ou de la froideur. Au Brésil il y a aussi beaucoup plus les valeurs « de l’optimisme, de l’ambition, de l’entrepreneuriat” puisque « t’es obligé de te débrouiller tout le temps pour le meilleur comme pour le pire”. Ici, “les gens travaillent beaucoup” parce qu’ils n’ont pas la même sécurité et le même droit du travail.

« C’est un pays qui est multifacette, multiculture entre les cultures indigènes, noires, les populations descendantes d’esclaves” et puis « São Paulo c’est la plus grosse communauté japonaise au monde”. Du coup « les gens sont hyper ouverts pour demander : tu viens d’où, et ta religion, et tes grands-parents” tandis que « en même temps c’est un des pays les plus racistes au monde”. D’un point de vue historique c’est un pays incroyable, « y a un milliards de langues, de tribus, de musiques”, « les paysages, la nature”. Pour moi c’est aussi « la plus belle langue qui soit”. En somme, « c’est un pays qui est ultra riche dans tous les sens du terme, [mais] qui a aussi le défaut d’être inégalitaire”.

Au Brésil, « y a une place à l’apparence qui est énorme”, l’hygiène et « le culte du corps » se retrouvent partout. « Les gens passent leur temps à se prendre en photo, à prendre des selfies” et puis « la chirurgie esthétique aussi”, « tu te poses pas la question” tellement c’est répandu. Et puis il y a aussi les marqueurs de richesses : les chiens, la maison secondaire et Disney Land. « C’est quand même une culture américaine”.

Dans l’ambiance sociale, « les gens sont très vite amenés dans des moments d’intimité ce qui nous fait parfois croire, avec notre perspective de français qu’on est déjà entrain de développer une amitié” alors que les brésiliens vont « proposer, dire des trucs qu’on va pas forcément tenir”, « ça n’engage à rien, y a aucune promesse derrière”. Et « les horaires” c’est pareil. « Au bout d’un moment on s’habitue et on répète ces schémas”. Il y aussi « la question de la mixité entre les âges”, ici « tout le monde se mélange”. « Les gens se parlent, c’est très fluide”. Au niveau du travail, « je pense que y a beaucoup beaucoup moins de séparation vie pro-vie personnelle”, « les gens passent tellement de temps au travail et s’investissent tellement qu’ils ont pas nécessairement beaucoup de temps pour des amitiés en dehors du travail”. « J’ai des collègues je les ai jamais vu avec d’autres gens sur des photos que des collègues”.

Ma vie au temps de l’épidémie…

« Mon visa finit en début août”, donc la question que je me pose c’est : “comment est-ce que je vais réussir à le renouveler et à rester” ? « Du côté de ma famille je suis pas à plaindre, tout le monde va bien, je gagne très bien ma vie, j’arrive à mettre de côté pour les temps plus durs si jamais j’arrive pas à garder du travail après” mais mon copain, resté avec sa famille, « est dans une situation beaucoup plus compliquée”. 

« Le Brésil aujourd’hui n’a aucune vraie quarantaine et confinement obligé”. « A São Paulo on a de la chance puisque le gouverneur a quand même pris l’ampleur un petit peu du problème et donc a pris quelques mesures”, « mais on est absolument pas obligés, y a pas de système d’attestation, on est pas obligés de rester confinés chez nous”. Certains continuent de sortir « parce qu’ils sont vraiment obligés et d’autres par pure bêtise ou manque d’éducation” ; « ils boivent tous les mots du président” « donc c’est une situation qui est très compliquée”.

Le Brésil « est un pays très complexe avec énormément de travailleurs illégaux, non déclarés qui sont obligés de sortir dans la rue pour gagner leur croûte”, « ils ont aucun filet, aucune sécurité”. « Après on a un système de santé publique” mais il est « très vieux, très compliqué par rapport à la population qui clairement, quand le pic viendra, ne tiendra pas le coup”. « J’ai la chance que mon entreprise prenne vraiment les mesures de ce qu’il se passe et on a été assez rapidement mis en télétravail […] il me semble même avant que la France le déclare”. D’ailleurs, « tout le monde est devenu un peu fou et on travaille trois fois plus […] depuis le télétravail”, on en vient à « poser des réunions à des horaires ou en temps normal on les aurait pas posée”.

« Je pense que pour les expats ce qui est dur, c’est que, même si on est quand même relativement soutenus par l’ambassade, le consulat qui essayent de nous partager des infos, faire des call etc […] forcément t’as envie de rester mais en même temps du fait que la situation peut très vite dégénérer tu es pas sûre que tu pourras bien être pris en charge au niveau de la santé”. « En plus tu sens que plus ça devient critique, plus ça s’améliore en France”. « Et puis il y a le problème des compagnies aériennes sur lesquelles on a aucune visibilité et on sait pas jusqu’à quand on aura encore des vols, et ça je pense que c’est le plus anxiogène” ainsi que la question de la fermeture des frontières.

« Aujourd’hui ça dépend que de moi”, « mais en même temps est-ce que je prend pas un gros risque en attendant ?”. « Y a des moments dans la journée où j’y pense et je commence à m’angoisser, à pas être bien et puis après je me calme et je me dis : bon, concrètement là, regarde, t’es dans ton appart t’as tout ce qu’il te faut”. Ce qui me pose soucis « c’est plus cette incertitude, gérer ce truc de je sais pas comment ça va évoluer, je sais pas si y a plus de vol et quand est-ce que je revois ma famille”. Et puis il « y a l’histoire du visa qui est compliqué parce qu’un visa ça prend du temps à faire et pour l’instant tout est bloqué”.

« J’ai déjà expliqué à mon boss que ça allait être compliqué pour moi de rester au Brésil après août si j’ai pas de boulot”. Heureusement, « avec le coronavirus ils sont un peu plus souples” sur les questions légales. Mais « le futur est imprévisible, on sait pas trop”. « J’aime ma vie ici, j’ai mon copain donc ce serait assez douloureux de devoir rentrer en France sachant que lui ne peut pas me suivre”. « En attendant on essaye de vivre un peu au jour le jour”. J’essaye de minimiser mon exposition aux informations et de prendre que le nécessaire car je trouve ça assez anxiogène.

« Je pourrais très bien rentrer en France » et y faire mon visa « mais bon l’incertitude est toujours la même”, « c’est un océan d’inconnu”. « La question aussi que tout le monde se pose c’est : si tu rentres en France est-ce que tu vas réussir à revenir au Brésil ?! » mais, en même temps, « au Brésil si c’est pour rester […] en télétravail […] parce que la situation permet pas de sortir dehors, est-ce que c’est la vie dont t’as envie aussi ? ».