J’ai demandé à des français et des françaises résidant à l’étranger de nous parler de leur expatriation et de leur situation actuelle, dans un contexte épidémique. Les interviews ont été synthétisés en des témoignages et anonymisés. Merci à elles, merci à eux de raconter leur histoire.
Léon a 28 ans, il vit à Montréal depuis presque un an. Il nous raconte son histoire et sa situation de français à l’étranger au temps du COVID-19.
Mon histoire…
“J’ai fait une formation de technicien, de régisseur dans le spectacle” et “ce boulot là que j’avais en France je l’ai transféré au Québec”, je travaillais comme directeur technique avec mon cousin. Ensuite “j’ai arrêté de travailler avec lui pour me consacrer complètement à la musique parce que […] je suis parti au Québec pour ça”. J’ai aussi pris “un job alimentaire comme serveur” moins confortable que mon travail de directeur technique mais qui me laissait du temps “pour pratiquer ma passion et la rendre professionnelle au fur et à mesure”.
“J’ai une mère qui est d’origine espagnole et du côté paternel c’est italien”, je dirais donc que j’ai la culture de la vie sociale et “de la bonne bouffe”. “Je suis né à Albi, je suis resté dans le Tarn jusqu’à mes […] 25 ans” puis j’ai vécu à Toulouse qui étais la “dernière ville dans laquelle j’étais avant de partir au Québec”. C’était des lieux “un peu dortoirs” “parce qu’avec mon travail de technicien j’étais souvent amené à partir travailler ailleurs en France”. J’ai aussi beaucoup voyagé, notamment au Maroc ou en Espagne, tout en conservant “un pied à terre” qui me permettait de “pouvoir partir un peu ailleurs pour pouvoir m’imprégner d’autres cultures et d’autres ambiances”.
Mes parents habitent “en pleine campagne, dans les vignes”. “En campagne t’es jamais vraiment rapproché, y a quand même beaucoup de distance à faire pour aller voir les gens” mais cette vie m’a donné “une énorme sensibilité et une ouverture d’esprit”, “le fait d’être connecté, relié à la nature, donc ça a été vraiment fort”. “A partir de mes 16 ans jusqu’à mes 22 ans, j’ai eu une vie un peu plus urbaine” : “se mélanger, découvrir un peu ce qu’est le rythme de la ville aussi, des gens”, “toutes les joies de l’autonomie, de la liberté et les vices aussi qui peuvent s’y cacher”. Toulouse “ça a été plus dans la concrétisation d’un mindset et d’une envie de vivre en fait, d’un état d’esprit” parce que j’étais dans un lieu de vie où on était treize, “donc il y avait toute une éthique dans laquelle on était et dans laquelle moi je voulais vivre”.
Mon expatriation…
Je suis parti à Montréal en mai 2019 avec “une envie d’autonomie, […] de prendre mon envol” et une “envie de voyage et de rencontrer autre chose en fait, une autre culture”. “Et puis il y a aussi eu le fait que je pense qu’il y a plus de facilités pour un artiste à se développer à Montréal qu’à Toulouse par exemple”. Mon “but étant de regarder un maximum d’ouverture personnelle et d’évoluer […] avec sa passion, avec ses envies et de réussir à en vivre tout en continuant à découvrir des choses”, le Québec m’est apparu comme étant l’endroit où je devais être.
J’y étais “déjà allé pendant trois mois en 2018” pour voir mon cousin, prendre des vacances et jouer dans un événement. C’était “ma première rencontre avec le Québec qui par la suite m’a fait prendre la décision de partir là-bas”. Grâce à mon cousin et un ami d’enfance, “j’ai passé trois mois on va dire autonome, à pas mal me balader dans Montréal” puis j’ai été rejoint par ma mère et ma tante et on en a profité pour visiter le Québec. “Sur trois mois tu prends quand même quelques réflexes, quelques habitudes de vie” mais “Montréal surtout à cette période-là il y a beaucoup d’événements” et vu que “dans ma tête, j’avais déjà une vue pour venir, j’allais rencontrer certaines places ou certaines personnes dans l’optique de développer ma carrière de DJ, de producteur donc j’avais quand même cet objectif-là”. On peut dire que “je suis pas arrivé dans l’inconnu et le flou total” ! “Le flou total il a été plus dans moi, ma propre approche de la ville et du pays”, “mais sinon j’avais quand même un pied à terre et des repères”.
Le premier mois à mon retour en France “était assez dur parce que je me suis re-confronté à un choc culturel”, “c’est là où j’ai réalisé que je me sentais beaucoup plus à l’aise dans la culture québécoise que dans la culture française”. “Très rapidement je me suis dit : je vais faire le PVT” et “j’étais reçu un mois après, donc signe du destin ou pas mais je me suis dit : bah c’est bon” ! “Donc j’ai fait tout ce qu’il fallait pour partir le plus rapidement possible” ; “sauter vers l’inconnu d’une nouvelle vie” au plus vite pour ne pas avoir le temps de trop y réfléchir.
Je pense que “je m’adapte énormément aux situations”, “j’ai très rapidement fait en sorte d’avoir mon autonomie”. Je me suis dit, “je vais utiliser les cartes que j’ai et mes compétences pour pouvoir vraiment m’installer avant de faire ce que je veux”. “Petit à petit les mois ont passé et là j’ai commencé à mettre en place mon projet, mon projet de vie”. Globalement, “ça s’est vraiment très rapidement mis en place”. “Mon travail m’a amené à fréquenter beaucoup de québécois et même d’anglophones”. “En terme de vie sociale de tous les jours on va dire que j’ai eu un début qui était assez mélangé, mais ça tirait un peu plus avec des français”, ensuite, très rapidement, “j’ai essayé de fréquenter beaucoup moins de français”. “Je pars du principe que si tu pars dans un autre pays, c’est pour t’intégrer aussi, c’est pas pour rester dans une communauté de français, d’expatriés” et ça me faisait plaisir “de pousser vers cette intégration et de découvrir un peu ces personnes-là”, de “découvrir leur état d’esprit, leur façon de parler, tout le vocabulaire qui est complètement nouveau”.
Au Québec, “on utilise les mêmes mots mais pas pour dire la même chose”, par exemple “tu veux exprimer une émotion ou une envie, mais les gens te comprennent pas de la bonne façon, donc là ça te donne un travail supplémentaire à faire pour essayer de t’adapter”. “Je trouve ça assez intéressant d’avoir deux façons de penser, je trouve que ça te permet d’avoir encore plus de bagage personnel”. Plus qu’une différence, “c’est juste un autre chemin de pensée”. Ici, “je trouve que y a plus de légèreté, y a beaucoup moins de jugements, d’a priori […] qui sont émis sur les gens, sur la vie en général” et davantage de “lâcher prise sur les choses”. Et pour moi, “complémenter sa propre personne et son propre état d’esprit, ça permet d’avoir une autre fenêtre sur la compréhension du monde”. Aujourd’hui, “je vis avec deux personnes qui sont québécoises” donc “je commence à être bien intégré” !
Ma vie au temps de l’épidémie…
J’avais une vie assez intense, beaucoup de travail mais “j’étais vraiment sur une bonne dynamique de concrétisation professionnelle”. “J’ai quitté mon appartement parce que […] j’avais un de mes colocataires qui avait possiblement attrapé le virus” et “j’ai pas pu, par mesure de prévention, rentrer chez moi”. J’ai donc intégré une nouvelle colocation où “on s’est mis très très rapidement en confinement préventif”. Il faut dire qu’“au Québec, vu qu’on avait quand même pas mal de recul sur les événements qui sont arrivés en Europe”, “ça a pas été quelque chose qui a été imposé comme en France où tu es obligé de signer une décharge pour justifier tes sorties et autre”. Il y a beaucoup de mesures préventives et puis, “les rassemblements de plus de deux personnes sont interdits sous peine de 1500$ d’amende”. “Au niveau de l’ambiance, hier on est allés dans une épicerie, c’est vraiment bizarre dans le sens où tout le monde est complètement parano de tout le monde”, “tu peux le sentir dans l’air c’est vraiment bizarre, personne parle, tout le monde se regarde un peu de côté”.
De mon côté ça va, “j’ai su prendre une routine, et mon activité de production et de DJ, c’est juste que je joue plus dans des événements […] mais par contre je continue mes projets”. “Je pense que c’est généralisé au monde entier mais je pense que c’est entrain de laisser des grosses marques psychologiques, je pense que c’est entrain de choquer les gens” et, à mon sens, “le temps que cette ambiance de tranquillité revienne ça va mettre plusieurs années”. Pour mon travail, je ne vais plus au studio depuis la première semaine de confinement, “j’ai pris tout le matériel dont j’avais besoin pour ne plus y retourner”, “on est jamais à l’abri du moindre truc”.
L’avenir, “c’est un peu compliqué” même si “je pars avec beaucoup d’optimisme”. “Je me dis que dans un an on pourra recommencer à faire des événements”. Pour l’instant, “on s’adapte, c’est moins un travail de scène en tout cas”, “mais je prépare d’un certain côté mes futures dates, ou en tout cas mes hypothétiques dates” pour l’été 2021. Ca reste quand même un peu frustrant de ne pas faire de scène.
“Je pense que je le vis mieux que si j’étais en France”, “ça me fait d’un certain côté moins peur parce que je vois que les gens jouent quand même beaucoup plus le jeu ici”. L’éloignement par rapport à ma famille “ça a jamais été quelques chose qui m’a posé particulièrement soucis”, je crois même que cette situation “retisse des liens” grâce aux communications écrites. “C’est beaucoup plus facile d’exprimer certaines émotions, certaines intentions” et “le fait de pas avoir la réaction directe de la personne ça fait peut-être moins peur”.
“Mon objectif c’est de faire ma résidence permanente à la fin de mon PVT donc pour le faire il faut que je puisse justifier de douze mois de travail dans le même secteur d’activité” et “là, la situation qui arrive présentement c’est un peu compliqué pour pouvoir réaliser ça”. Donc, pour moi, “c’est encore quelque chose qui est un peu stressant” “de savoir que je vais peut-être pas le valider et pas pouvoir rester”. “Je pense que clairement ça ne va plus exister ce statut-là de permis-vacances-travail”… Avec mon secteur d’activité, est-ce que l’immigration va “prendre en compte que c’est une épidémie, qu’il y a un cas de force majeure” ? “Je sais pas encore”.
Le seul retour que j’avais prévu “c’était le mariage de mon cousin en France le 18 juillet” où j’avais prévu de mixer en France et en Europe aussi. Mais “si jamais je retourne en France pour le mariage de mon cousin […] je pense pas que le Canada puisse me rouvrir les portes puisqu’en ce moment toutes les frontières sont fermées”, “je pense très certainement que le mariage je vais pas pouvoir y aller”.