J’ai demandé à des français et des françaises résidant à l’étranger de nous parler de leur expatriation et de leur situation actuelle, dans un contexte épidémique. Les interviews ont été synthétisés en des témoignages et anonymisés. Merci à elles, merci à eux de raconter leur histoire.
Izakeh a 28 ans, il vit dans le French Quarter à la Nouvelle Orléans. Il nous raconte son histoire et sa situation de français à l’étranger au temps du COVID-19.
Mon histoire…
« La musique j’en pratique tous les jours », « tous mes passe-temps sont autour de la culture » et puis « j’ai besoin d’être dans la nature […] j’ai passé toute mon enfance, mon adolescence dans la nature ». « Mon père est Kabyle et ma mère est Corse » mais « au fond, mes origines sont algériennes ». Actuellement, « je suis dans un moment de ma vie où le professionnel c’est pas la priorité », avant, « fallait que je m’installe, fallait que je fasse mes visas, fallait que je réponde à tous les trucs de l’immigration ».
« Je suis né à Mazamet dans le Tarn, je rigole parce que c’est pas un endroit très glamour », puis j’ai grandi dans « un petit village dans l’Hérault, perdu, pas perdu mais dans la montagne quoi ». Ensuite, « je suis parti à Montpellier » à 17 ans, pour suivre mes copains qui allaient à la fac. En fait, « je me considère plus comme un rural que comme un citadin même si j’aime la ville ». J’ai vécu à Toulouse mais « je partais pas mal sur Paris » où j’ai vécu « le lâcher prise, ce truc où je suis dans une grand ville, personne ne me connaît, je fais ce que je veux » et « j’avais ce noyau vraiment sécurisant », un ami d’enfance, chez qui je pouvais loger pour « pouvoir aller me découvrir ».
A la fin de l’année, j’ai fait du woofing à Eourres et « j’ai eu une révélation où je me suis dit : je veux étudier la géographie », « je me suis rendu compte qu’il avait des vies alternatives » et « ça, ça a changé toute ma
perception » ! Je me suis inscrit à la fac à Albi, « ça a été le moment où j’ai découvert la culture » où « je pouvais être juste moi […] y avait pas besoin de prouver quoi que ce soit ». Albi, « pour moi, c’était le mix parfait » ! « C’est une ville où si je me posais pas de question j’y resterais ». Ensuite, « je suis parti à Figeac, parce que j’étais embauché » et « j ‘y suis resté pratiquement trois ans mais j’ai jamais eu ce sentiment où je m’étais installé » même si « j’ai adoré parce qu’il y avait encore plus de solidarité qu’à Albi ».
Mon expatriation…
La Nouvelle Orléans, « mon rêve c’était d’y aller »… « et j’y suis allé » ! Pour autant, « le premier soir ça c’est très très mal passé ». Entre les problèmes avec l’immigration et ma nuit dans une chambre dans un quartier dangereux, j’ai ressenti « l’angoisse du pays, ça y est tu y es, t’es tout seul » ! Le jour suivant « je suis allé dans le French Quarter qui est un peu l’endroit touristique et en fait je reconnaissais rien », « ça fait des années que j’ai un visuel » et donc j’attendais « un truc un peu familier, [ …] de me sentir chez moi » « et je me sens pas du tout chez moi, mais pas du tout ». J’ai commencé à « pratiquer la culture », à fréquenter des concerts et des associations, « et ça a tout débloqué ». « Au bout de quatre-cinq jours j’ai trouvé une coloc pour le reste du mois » et « après tout s’est très bien passé ».
Lors de mon « second voyage je suis revenu ici en mode : ok c’est la maison » et « j’ai plus eu une vie basique ». L’objectif c’était d’habiter à la Nouvelle Orléans juste un mois pour faire « un test ». Lors de ce second séjour, « je voyais que la ville me ressemblait et que j’aimais cette ville, mais que c’était pas la qualité de vie à laquelle
j’aspirais ». Je sais que « je reviendrais dans un petit village en France à un moment ».
En janvier 2020, je me suis expatrié avec la sécurité d’être accueilli. En fait, « je suis plus parti à l’aventure y a un an pour un mois de vacances que pour m’y installer, mais ça c’est ce que je pensais avant d’arriver ». En réalité, « c’est beaucoup plus dur que ce que je pensais », bien que je sois heureux. C’est difficile « de pas avoir mes copains, de pas avoir ma famille, de pas avoir mes lieux », mes repères dans la nature qui me permettent de me ressourcer. Malgré tout, « depuis que je suis ici, j’ai pas rencontré un seul français », je garde ça pour quand j’en ressentirais vraiment le besoin.
En ce moment, « j’ai l’impression que je retombe en enfance […] parce que je suis obligé de réapprendre tout
[…] » et « j’en reviens vachement à regarder des trucs que je regardais quand j’étais gosse […] parce que je pense que je suis à la recherche de ce confort que mes lieux m’octroyaient ». Je me rends de plus en plus compte que « je dois tout réapprendre, même ma personnalité parce que du coup je parle une autre langue, j’utilise pas les mêmes mots donc ma personnalité elle change » notamment par rapport à l’humour. « J’ai l’impression que y a deux personnes, y a moi et celui que je dois devenir aux Etats Unis, et je sais que je serai pas la même personne » et puis « je suis obligé d’être moins naturel ici ».
Depuis quelques temps, « j’ai décidé d’arrêter de dire que je vis aux USA, je vis en Louisiane ! Parce que ce qui se passe ici n’a rien à voir avec ce qui se passe dans un autre état ». J’échange beaucoup avec les gens que je rencontre sur leur culture et la mienne. Aussi, « j’ai fait des stickers où j’ai marqué : t’habites dans le quartier français mais t’écoutes pas de chanson française ». Je suis fier de ma culture et il « y a des fois aussi où j’aime bien leur dire bah oui y a des choses où les Français on est meilleurs et c’est vrai » !
Ma vie au temps de l’épidémie…
Avant le confinement, « j’avais du temps pour moi et en même temps je commençais à poser mes pierres un peu partout ». A la Nouvelle Orléans, on est passés « de l’euphorie de mardi gras où c’est la décadence totale à … tout le monde est enfermé à l’appart ». « On a été en confinement quelques jours après vous » et « pendant deux semaines y avait vraiment personne mais vraiment personne ». Depuis la ville a complètement changé de visage,
« c’est vachement dangereux ». De mon côté, « vu que je bosse plus depuis trois mois […] j’avais quand même cet effet de culpabilité » et là, disons que « ça me déculpabilise par rapport à ma propre situation ».
« Je pense que les gens ici sont beaucoup plus dociles que chez nous », « plus peureux » face au virus et « plus respectueux du confinement qu’en France ». Cette situation, « ça me donne encore plus le désir d’être dans mes endroits ressources », « je pense que dans un moment comme ça de crise mondiale, la seule envie que t’as c’est d’être entouré de choses qui te ressemblent ». A vrai dire, « si j’avais su qu’il allait se passer tout ça, je serais resté en France, après je dis pas que je le vis mal », disons que « je me sens piégé dans un contexte où je me sens quand même bien ».
Aujourd’hui, « je me sens plus appartenir à la Nouvelle Orléans parce que du coup vu qu’on vit quelque chose ensemble […] je vais plus me sentir chez moi parce que comme tous les gens de la Nouvelle Orléans j’aurais vécu un truc avec eux », « je serais plus légitime de dire moi aussi je suis un habitant d’ici parce que cette crise je l’ai vécu avec vous ». « Je commence à me dire que c’est chez moi parce que je suis entrain de vivre ça avec ces gens-là ici » même si « je me sentirais toujours Français ». Par rapport à mes proches en France, « j’aurais été pas bien si j’avais connu des gens isolés » mais ce n’est pas le cas « donc je m’inquiète pas vraiment pour eux ». De leur côté,
« ils s’inquiètent pas vraiment pour moi ici mais ils s’inquiètent de quand est-ce que je vais pouvoir rentrer ». En fait, « vu qu’on sait pas quand est-ce qu’on va se revoir, on veut se revoir » !